Au coeur de Chabanals

Un nom connu de tous les glaciéristes du 06, une cascade qui attire des gens d'autres régions... Mais d'ou vient le mythe?

De part son aspect particulièrement esthétique?
De part le fait qu'elle ne forme parfois que tous les 6 ou 7 ans et seulement pour quelques jours
De part la verticalité de ses lignes et l'ambiance exceptionnelle une fois dedans?
Peut être tout à la fois... Peut être parce qu'elle représente à elle seule la beauté de l'escalade hivernale dans les alpes maritimes... Conditions éphémères, escalade technique et délicate, ambiance sauvage...



Chabanals, la reine des alpes maritimes comme certains disent, quand elle commence à se former, la tension devient palpable chez les alpinistes et glaciéristes de la région. Les informations circulent alors à bas bruit. Et puis, lors qu'une première ascension est réalisée, l'excitation remplace le doute ! Pourtant, la règle d'or en cascade est de ne pas se précipiter et d'observer rigoureusement les conditions, surtout pour une entreprise aussi sérieuse. Ensuite reste à concilier le bon créneau, le bon compagnon, la bonne météo... L'affaire est loin d'être simple. 


Guettant l'occasion depuis plusieurs jours, mes disponibilités coïncident avec celles de Thibaut, nous allons donc voir cette belle cascade de plus près en début de semaine. 
Thibaut l'a déjà grimpé 6 ou 7 fois depuis 2005, mais chaque année les difficultés sont différentes.

Volontairement, je ne parlerai pas de cotations dans cet article. Je trouve que les cotations en glace sont vraiment beaucoup trop variables pour réduire cette discipline à un chiffre, en fonction des conditions et des passages. Je me souviens d'un article qui parlait de deux cotations en glace "je peux"/ "je ne peux pas". Je trouve que c'est beaucoup mieux de parler ainsi.


Donc ce matin la, nous partons de  St Etienne de Tinée, la lombarde souffle sur la crête frontalière. Le fort épisode neigeux a bien recouvert le vallon de Demandols.


Comme une apparition du soleil entre les nuages un jour de tempête, la cascade apparaît après un lacet rayonnante de son cristal pur et limpide. 
L'approche a été tracée la veille et malgré les 70cm accumulés, nous progressons vite jusqu'à pied d'oeuvre; 


C'est encore plus beau lorsque c'est inutile disait Rostand... Oui d'accord mais la c'est quand même très très beau. 


Le soleil déclenche des chutes de neige et de glace accumulées sur les vires. La glace dure s'enfonce dans la poudreuse avec un bruit sourd qui raisonne quelques secondes. Nous sommes à l'affûte de tout bruit anormal, tout signe inhabituel. 

 
Il est temps de s'équiper ! 


Je suis bien content d'être la !



J'attaque la première longueur. D'ordinaire plus facile, le manque relatif de glace et l'accumulation de neige sur les pétales la rend plus technique cette année. Il faut pas mal zigzaguer pour rechercher les zones moins surplombantes et où la glace est plus épaisse pour se protéger. 


Assez technique, elle est néanmoins peu physique parce qu'on arrive toujours à prendre pied sur un pétale de glace... Sauf que ceux-ci étaient recouverts de neige, on ne sait jamais trop sur quoi on a les pieds...
De temps en temps, Thibaut me prévient de la descente d'un gros spindrift et je me plaque contre la glace pour éviter le bombardement. 


Thib à la sortie de la longueur, après une bonne onglée mais heureux d'être ici !


La deuxième longueur représente le plus gros point d'interrogation cette année. un magnifique Freestanding de 35m de haut, posé sur une base peu large et fendu. Heureusement un gros bloc prit dans la glace à sa base semble solidifier la structure et la fissure a l'air d'être ressoudée. L'eau coule à travers la paroi de cristal... aussi magnifique que préoccupant.



Thibaut s'élance dans cette longueur, avec technique et délicatesse. La maîtrise se fait sentir dans sa fluidité de progression malgré les difficultés. Les frappes sont peu nombreuses, la structure ne vibre pas trop et confirme le sentiment de solidité. On n'a quand même pas trop envie de tester. Le soleil a bien détendu la glace, la cascade est maintenant à l'ombre. 


La longueur vu qu'en bas... Plein gaz, en écart dans le petit dièdre de glace, tout bonnement exceptionnel ! Dans la fin de la longueur, il faut passer un surplomb qui se contourne assez bien par la droit contre toute attente avec un rétablissement en renfougne ! 


Je repars dans L3. Normalement c'est une longueur vraiment difficile mais cette année la glace a formé assez près du rocher et permet de se mettre en écart de temps en temps pour brocher tranquille
Passer plein gaz ne donne pas trop envie, la glace est trop sculptée et nécessiterait beaucoup de nettoyage. 


à la sortie, il faut se rétablir vers la droite, après un pas no-foot d'anthologie. 


Et voila le travail ! même si la fin est moins raide, j'ai les avants bras en feu après avoir enchainer L2 et L3 sans grosse pause. 


Du dessus ça donne ça ! Une cordée nous suit, constituée de Jeremy Fino, Fred Batut et son ami Olivier.


La dernière longueur, il faut passer au nord Est ou le soleil n'a pas trop sculpté la glace.


Encore une longueur grandiose ! Moins difficile que les précédentes. 


Dans le cigare, on entend l'eau couler sous pression avec un bruit de machine à vapeur, 'cest vraiment impressionnant ! 


à la sortie de la longueur 


Ambiance... N'est ce pas? On voit les sacs tout en bas


La sortie par le haut est en configuration Alaska avec 1,50m de fraiche accumulée dans la gorge et au dessus du rétablissement, nous décidons de redescendre par les rappels équipés


Jeremy à la sortie de la dernière longueur


En descendant, on change d'angle et on se rend compte des proportions de la cascade.


Thib dans le dernier rappel en fin d’araignée.


La fine équipée au pied, après une petite péripétie, mais ça c'est une autre histoire...

Tellement heureux d'avoir pu grimpé cette splendeur. C'est ce genre de course qui fait qu'on garde un petit carré de ciel bleu tous les jours "ordinaires" et qu'on relativise un peu plus sur ce qui nous entoure. 
Merci Thib pour cette journée.

à bientôt ! 

PS : un article est également disponible sur Revalpin, le site de Thibaut.